Thizy


Thizy est une ville du Haut Beaujolais située à 20 km de Roanne et à 67 km de Lyon. Au moment où nous l'habitions, elle comptait environ 4000 habitants. Beaucoup de thizerots travaillaient dans la confection de chemises principalement. Il n'existait plus de grandes usines mais surtout de petits artisans. L'enseignement était dispensé par une école de filles, une école de garçons, un cours complémentaire, une école confessionnelle dite "libre", un centre d'apprentissage pour les métiers du bâtiment.
Notre appartement à Sabatin




Sabatin est un agréable quartier extérieur à Thizy . Il est traversé à l'époque par la nationale 504 devenue départementale desservant Villefranche sur Saône et passant par Saint-Jean la Bussière, Amplepuis, le col des Sauvages, Tarare.....A l'écart de cette route dénommée rue Gambetta dans l'agglomération situé à 5 km environ sur les hauteur, on trouve le petit village de Marnand.
La maison abritant notre appartement se trouve au numéro 66 de cette rue. Accolée à elle, une maison plus petite a logé diverses personnes. Plus loin en descendant vers Thizy et près le chemin des fourches on trouvait en rez de chaussée la résidence de la famille R. avec ses deux garçons un peu plus jeunes que moi, la famille J.au premier étage avec un garçon de mon âge et une fille adolescente plus âgée. Plus loin on trouvait la famille D. dont la fille Michelle nous donna bien des émois. En face de notre maison logeait une personne âgée accompagnée de sa fille ou petite fille, une demoiselle d'une vingtaine d'année qui jouait du piano. Je ne me souviens plus de son nom. En plus de nous quatre, mes parents, mon frère Gérard et moi, la maison abritait des personnes seules.
Au premier étage, monsieur L âgé d'une soixantaine d'année, bien de sa personne et soigné, il côtoyait en face de chez lui une demoiselle un peu plus jeune, qu'on surnommait la vieille fille., Paule G. affublée au moins d'une demie douzaine de chat qui restaient cloitrés chez elle.
Au second étage le père F comme on le dénommait était d'un âge plus avancé, septuagénaire; Il avait tendance à se négliger.
Au dessus s'étalaient tous les greniers, dont le nôtre qui allait prendre plus tard pour moi une grande importance.
Au sous sol, qui en réalité était un faux sous-sol. Puisque construite sur un terrain en pente la maison comptait trois nivaux habitables sur la façade principale, mais quatre nivaux à l'opposé. Un autre appartement éclairé par deux fenêtres jouxtait les caves sans lumière naturelle. C'est Madame D. qui l'occupait, Elle avait un fils, prénommé Gérard comme mon frère et du même âge que lui. Il n'habitait pas chez sa mère, mais venait de temps en temps lui rendre visite.
Mon père devait avoir un petit morceau de jardin en contre bas de la maison. je crois me souvenir qu'il le cultivait un peu.


A gauche notre immeuble suivi d'un autre plus petit Après la voiture, le chemin des Fourches, ensuite les immeubles des familles R. et J. suivi de l'immeuble D.
Sur la droite la maison de la demoiselle pianiste.
De bas en haut : notre appartement dans son état actuel, au premier celui de Mr L. puis derrière celui de Mlle G.
au deuxième l'appartement du père F.
De bas en haut : -1 : appartement de Mme D. et caves
RC : Notre appartement. 1: Appartement de Mlle G. 2: Monsieur F. Les greniers au-dessus.
Les WC publics
Aucun appartement ne possédait de WC à l'intérieur. Ils étaient collectifs et constitués d'une vielle cabane en bois posée sur le sol en contrebas de la maison. dont la porte ajourée d'une ouverture dans sa partie supérieure pouvait se fermer avec un crochet, ce qui assurait l'intimité du moment.
A l'intérieur un trou profond surmonté de planches disjointes au milieu recueillait les déjections de toute la maisonnée.
Le caca beson était la seule position possible pour se libérer.
L'odeur n'était pas du tout agréable, mais nous étions presqu'en plein air.
Le journal nous servait de papier toilette. On pliant celui de la veille ou de l'avant veille, on en déchirait plusieurs morceaux de format A 6 on les accrochait à l'intérieur de la cabane au moyen d'un fil de fer. En entrant, il fallait s'assurer qu'il y en avait encore. Le papier était un peu rêche mais il était un cran supérieur à la feuille d'arbre qu'on pouvait utiliser dans la nature. Le papier glacé des hebdomadaires ou mensuels était moins efficace.
Lorsque le trou était plein et menaçait de déborder, il fallait demander à un spécialiste de venir le vider. Il arrivait avec un énorme camion muni de gros et longs tuyaux qu'il déployait depuis la route jusqu'à la cabane.
Puis il faisait tourner le moteur à plein régime ce qui aspirait les matières fécales et les refoulait dans une citerne. Pendant toute l'opération il se dégageait une odeur pestilentielle reconnaissable entre toutes.
On nommait le camion en question : "la pompe à merde".
Nous utilisions ce moyen de soulagement uniquement la journée. Il n'était pas question de descendre la nuit avec une lampe de poche, poser culotte dans une cabane non éclairée.
Aussi avions nous recours au seau hygiénique.
C'est un seau en métal, éventuellement émaillé muni d'un couvercle et d'une anse permettant de le trimballer. Disposé dans un débarras, toute la famille l'utilisait la nuit pour les petites ou grosses commissions. La matin, il fallait le vider dans les waters collectifs, puis le laver pour qu'il puisse être à nouveau utilisé la nuit suivante. Il servait aussi lorsque l'un d'entre nous était malade.






nos WC collectifs ressemblaient à ceux-là


A caca beson
A croupton
Un seau hygiénique
Une pompe à merde


La cuisine : notre pièce principale
Nous passions tous la majorité de notre temps dans la cuisine été comme hiver. C'était la seule pièce chauffée de l'appartement par une énorme cuisinière noire à charbon de marque "Roja" dotée de gros boutons de cuivre.
Une table entourée de quatre chaises servait pour les repas, pour les devoirs, pour la lecture de gros livres, pour mes petites activités comme le dessin ou le découpage de figurines.
Le buffet emmagasinait la vaisselle dans sa partie supérieure et les casseroles ou autres matériels de cuisine dans sa partie inférieure.
Un poste de radio noir posé sur son assise égayait nos repas ou nos veillées.
Dans un coin, près de l'entrée des chambres un évier permettait de tirer l'eau dont on avait besoin, de faire la vaisselle, la lessive, nos toilettes.
Le sol était recouvert d'un lino (linoléum ) qua ma mère entretenait chaque jour minutieusement en le balayant, le lavant l'astiquant. Nous n'avions droit à nous déplacer qu'en pantoufle. Lorsqu'on pénétrait dans la cuisine depuis l'extérieur, nous devions emprunter la paire de patins mise à notre disposition à l'entrée puis glisser par petits pas jusqu'à nos chaussures d'intérieur. Il en était de même pour les visiteurs.
L'éclairage était assuré par une seule lampe munie d'une ampoule de 60 voire 100 Watts. On pouvait régler sa hauteur pour assurer un éclairage plus ou moins large .






Evier, lavabo
Notre cuisinière Roja ressemblait à celle-ci. Elle était me semble-t-il un peu plus large. Elle possédait des manettes rondes en cuivre
Un buffet de ce genre avec un poste de radio








patins en feutre permettant de glisser sur le sol pour ne pas le salir avec des souliers crottés.
Lampe accrochée au plafond dont la hauteur est réglable. Ampoule à incandescence utilisée pour éclairer.
Chaque matin, nous devions allumer la cuisinière pour réchauffer ou cuire les plats préparés par ma mère et pour chauffer pendant les saisons froides la pièce de vie, la cuisine.
Je pense que mon père devait se lever de bonne heure pour assurer cette tache, notamment en hiver, alors que le froid avait envahi la pièce.
Allumer un feu nécessite une procédure précise et délicate.
Le foyer est nettoyé pour enlever les restes de cendres qui tombent dans un long récipient en tôle déjà rempli.
On froisse des pages de journal que l'on dépose au fond du foyer. On les recouvres de petits bois découpés à la hache. On termine en remplissant avec des boulets de charbon.
Il reste à allumer le papier en dessous avec une allumette. Lorsque le feu à pris, lorsque le charbon commence à rougir on ferme le foyer.
On doit veiller à ce que le foyer soit alimenté régulièrement en charbon afin que le feu ne s'éteigne pas.
Le charbon et le petit bois étaient entreposés à la cave.
Jusqu'à l'âge de 13 ans environ j'avais peur de descendre dans ce lieu mi obscure allumé par une pâlichonne lumière. Je craignais l'ouverture de la porte imaginant que des êtres de toute sortes pourraient en sortir et je baissait rapidement l'interrupteur pour éclairer l'antre vide de toute vie maléfique.
Ensuite je mis un point d'honneur à m'efforcer d'être courageux en me persuadant que je n'avais pas peur. A partir de ce moment, c'est moi qui allait chercher le charbon dans un seau, qui coupait le petit bois à la hache sur un billot.






Commant dans la cave, je coupais le petit bois pour allumer le feu de la cuisinière
Le charbon était livré en camion. Un manutentionnaire le descendait sac par sac dans la cave en empruntant les étroits escaliers. Il le versait dans un réduit aménagé par des planches. Au début de notre séjour c'était des boulets. Je prenais le seau à charbon, je descendais à la cave et avec la pelle, je remplissais le seau que je remontais dans la cuisine.
Avec le pique feu on détassait les cendres du foyer en piquant à travers les fentes. Elles tombaient dans un grand récipient en forme de tiroir qui une fois plein était vidé à la poubelle. Ensuite toujours avec le pique feu on enlevait une ou deux rondelles ce qui permettait de déposer au fond du foyer, le papier, le petit bois et le charbon.
On allumait le papier avec une allumette à travers les fentes.
Le cornet coudé emboité sur une sortie de la cuisinière récupérait les gaz, dont le dioxyde de carbone dénommé à l'époque gaz carbonique et la fumée pour les diriger vers une cheminée qui les évacuait au dessus du toit.
En été, la cuisinière fonctionnait au ralenti pour cuire les aliments, chauffer de l'eau avec une bouilloire.
En hiver, elle chauffait la cuisine avec une température supportable, ce qui n'empêchait pas d'avoir du givre ou de la glace sur les vitres lorsque la température extérieure était très basse.
En ouvrant les portes des chambres, on tempérait légèrement leur température. Mais cela se faisait rarement pour ne pas trop baisser la température de la cuisine.
La nuit la cuisinière s'éteignait progressivement et nous devions la rallumer chaque matin.
Tout au charbon
Les chambres et la grande pièce vide
Mes parents occupaient une chambre qui je pense devait être assez sombre. Elle était meublée d'une armoire, d'un lit 140 d'une table de nuit hérités de mes grands parents paternels. Une petite table basse et ronde trônait au centre de la chambre sur laquelle étaient posées les photos de mes quatre grand parents ainsi que deux chaises recouvertes de velours bleu.
un soir, tard, alors que mes parents étaient couchés et que je ne dormais pas encore, j'entendis ma mère demander à mon père qu'il la serre fort dans ses bras.
Ce furent les seuls sons que j'entendis provenant de leur chambre.
Mon frère Gérard et moi dormions dans la chambre contiguë à celle de mes parents, dans le même grand lit de 140. Un lit hérité de mes grands parents maternels ainsi qu'une armoire cossue sans glace, une table de nuit et deux chaises recouvertes de velours rouge. .
Les draps, un de dessous et un de dessus tissés avec un coton assez épais non raiche, ornés sur la partie supérieure des initiales de ma mère brodées en relief étaient recouverts suivant la saison d'une ou deux couvertures en laine teintée sur lesquelles s'étalait un gros édredon en plume, rouge pour notre lit, bleu pour celui de mes parents.
Mon frère, était énurétique mais l'humidité de ses mictions nocturnes ne semblaient pas m'avoir atteint. Je pense que ma mère prenait toutes les précautions nécessaires pour que cela n'arrive jamais.
L'hiver, l'intérieur du lit était froid et nous avions du mal à nous y glisser. Parfois on grelottait, mais bien vite, une fois entre les draps où nous soufflions notre haleine chaude, la température devenait clémente, voire agréable Pour réchauffer nos pieds nous déposions au fond du lit une brique emmaillotée de tissu qui avait été déposée quelques heures avant dans le four de la cuisinière.
Notre mère venait "cogner" nos couvertures, les coincer entre le matelas et le sommier afin qu'on ne soit pas découvert la nuit.
Parfois je m'insurgeait contre mon petit frère qui en s'étalant avait tendance à prendre beaucoup de place et je devais établir une frontière imaginaire qu'il ne devait pas dépasser.
La grande pièce longue donnant sur la rue servait d'entrepôts pour quelques autres meubles :
- une grande table à rallonge, que je vais transformer en table de ping pong en ajoutant un filet et qui a servi de Sabatin à Belleville sur Saône lorsque j'avais 23 ans.
-deux fauteuils l'un rouge, l'autre bleu genre Voltaire dont le dossier basculait lorsqu'on appuyait sur des manettes en fer fixées sous les deux accoudoirs. Je jouais déjà à faire basculer ces deux fauteuils chez ma Grand-mère à Amplepuis lorsque j'avais 5 ans.
- une table bureau, héritage de ma Grand mère paternelle que j'utilise toujours entreposée dans ma chambre
- divers objets ou ustensiles qui ne nous servaient pas dans notre vie quotidienne.
Je ne sais plus quel âge j'avais lorsque j'éprouvais le désir d'avoir un chien. On en trouva un tout petit qui grandit bien vite. Cette pièce était devenue son antre. Je devais chaque jour nettoyer ses déjections avec une pelle et une serpillère. On l'avait appelé Youki en souvenir d'un chien d'amis responsable "garde barrière" de la SNCF sur la route de Roanne à Perreux.


Les véritables meubles de la chambre de mes parents :
Ils proviennent tous de mes grands parents paternels sauf la table ronde qui appartenait à mes grands parents maternels.
la chaise était recouverte de velours bleu.
Un miroir de l'armoire a été cassé dans les années 2010 suite à une malheureuse manipulation. J'envisage de la remplacer.
Les meubles de notre chambre ressemblaient à ceux-ci.
Ils ont été abandonnés au cours des différents déménagements de mes parents. Seule les deux chaises rouges sont les nôtres.




Seule la table bureau est authentique.
La grande table à rallonge ressemblait à celle présentée sur la photo avec des bords à angles droits.
Les deux fauteuils comme celui représenté étaient couverts de velours unis bleu pour l'un, rouge pour l'autre.
Nos voisins
Madame D. logeait au même niveau que les caves. Lorsqu'on descendait dans la notre on passait devant sa porte toujours fermée. Elle ne sortait pratiquement jamais de chez elle, constamment recluse. Je pense qu'elle devait se faire livrer par quelque âme charitable les victuailles dont elle avait besoin.
Elle devait être foncièrement malheureuse et soignait ses mauvaises pensées ou souvenirs, ses angoisses en buvant du vin rouge.
Apparemment, personne ne s'occupait d'elle, elle vivait dans une solitude éternelle. Sa cuisine se situait en dessous de la nôtre.
Parfois, lorsque l'alcool n'arrivait pas à calmer ses peurs, ses chagrins, elle tapait bruyamment le plafond avec le manche de son balai. Au début de notre séjour nous fûmes inquiets et apeurés lorsque cela se produisait. On descendait, frapper à sa porte pour demander si tout allait bien. Elle nous répondait en maugréant mais restait enfermée
Lorsque ma mère cuisinait un plat particulier, elle me demandait de lui en descendre une part dans une assiette. Malgré la crainte que j'éprouvais j'était content de ce geste. Je frappais , elle entrebâillait sa porte et récupérait subrepticement le présent que nous lui faisions.
Habillée tout de noir, je ne l'ai jamais vu rire ou même sourire.
Elle avait un fils prénommé Gérard comme mon frère et du même âge. Il ne vivait pas avec sa mère. Je suppose qu'il avait dû en être écarté pour le protéger et pour qu'il vive plus sereinement dans un autre endroit. Parfois, il lui rendait visite et restait quelques jours, surtout lorsqu'il fut plus âgé.
Bien qu'on l'appela "la mère D." et malgré ses petites exactions, nous la respections beaucoup. Personne de la famille ne la jugeait et mes parents essayaient de trouver une explication à ses attitudes. Je pense à elle et son fils , encore aujourd'hui, avec beaucoup d'émotion.


Paule G. était une demoiselle âgée d'une cinquantaine d'année. Elle vivait seule dans son appartement du premier étage.
Pour lui tenir compagnie, elle avait adopté plus d'une demie douzaine de chats qui ne sortaient jamais. Une forte odeur d'urée acide et d'ammoniac planait dans sa cuisine et envahissait aussi légèrement la cage d'escalier.
Lorsque je lui rendais visite, les matous apeurés se dispersaient sur les meubles et scrutaient attentivement mon attitude.
J'avais sympathisé avec elle. Elle m'invitait quelquefois à venir consulter de grosses revue reliées relatant par de nombreuses photographies la guerre de quatorze- dix huit. J'aimais beaucoup feuilleter ces livres épais constitués de plusieurs numéros de la célèbre revue à l'époque, "l'illustration" que mes parents avaient connus dans leur jeunesse.
Elle m'avait expliqué aussi que son père était banquier. Son passé avait été plus opulent que son présent. Elle aussi ne vivait pas dans l'abondance.
Elle était toujours affublée de vieux vêtements de couleurs neutres. Elle ne sortait que rarement de chez elle.






